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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 22:17

Rob commençait à peine à trouver le sommeil.

Il faut dire qu’avec tous ces avions qui bombardaient la ville depuis huit jours, il était bien difficile de fermer l’œil. C’était la guerre ! La finale ! La grande finale mondiale de la guerre ! L’armée française ne faisait plus partie du combat depuis bien longtemps. Ils étaient tous rentrés à la base, refusant le combat. Ils avaient subitement décidé de faire grève. Au dernier moment. Un vieux réflexe national.

Le peuple se consolait en admirant la bataille aérienne des plus forts. Les avions brésiliens menaient, mais ils étaient tout de même talonnés de très prêt par la flotte allemande. Certains avions s’écrasaient sur les immeubles voisins, mais Rob ne semblait pas avoir peur. Il trouvait juste que ça faisait beaucoup de bruit pour pas grand-chose, la guerre.

Et puis, merde, disons-le tout net, il n’était pas très amateur de guerre. Il avait suivi quelques combats auparavant, mais trop de tricherie, trop d’argent entachaient ce noble sport.

Il envoya un sms à Bernie. Son cousin préféré devait certainement traîner avec ses sales amis, à essayer de récupérer du matériel sur les épaves fumantes des avions, au milieu des cadavres internationaux.

On sonna à la porte. Rob alla ouvrir, et invita son nouveau voisin Tanguy à entrer. Tanguy semblait furieux. Il l’était !

- Non mais, Roby, tu te rends compte ? Ces cons, avec leur putain de guerre à deux balles, ils brouillent le satellite, je ne reçois plus aucune chaîne !

Rob lui proposa de s’installer chez lui, car il était câblé depuis que feu le président Mitterrand avait décrété qu'il n'était plus chébran. Il laissa Tanguy s’installer sur son canapé-lit, et, après avoir enfilé un pantalon et un t.shirt, il sortit faire un tour dans la ville.

Tout était gris. Des badauds s’extasiaient devant des immeubles en flammes, les bookmakers charognards étaient là, évidemment.

Rob passa à travers tout ce petit monde, les mains dans les poches, en sifflant l’air du Pont de la rivière Kwai, comme ça, sans provocation, innocemment. Hello, le soleil brille... brille... brille... !

Il passa sur le pont de l’Hôtel de Ville, et s’arrêta quelques instants. Il se pencha et regarda l’eau bouillonnante. Des centaines de poissons semblaient se foutre ouvertement du bombardement. Ils faisaient tous la planche, ces cons ! Ça réfléchit pas beaucoup, ces bêtes-là, se dit Rob. Ils ne se rendent pas compte du danger.

Il leur jeta quelques cailloux pour les effrayer, pour les inviter à regagner le fond, pour se protéger de la folie des hommes, mais non, ils n’en avaient cure, il restaient-là, allongés sur le dos, sans bouger, comme si de rien n’était .

On lui tira le pan de sa veste. Juliette ! La petite Juliette, ici.

Que fais-tu là, pauvre Juliette ?, dit Rob. Seule, ici, tu ne vois pas que c’est la grande finale mondiale, c’est pas un sport pour les fillettes, ça. Oui, Rob était comme ça. Les filles ça joue à la poupée, les garçons ça joue à la guerre. Point.

Mais la petite lui avait déjà sauté au cou, et le serrait si fort dans ses bras qu’il faillit en étouffer. Ils s’aimaient ces deux-là ! Merci Picsou-Magasine, vraiment merci.

Alors qu’ils partaient se réfugier dans un porche d’immeuble, ils croisèrent un couple d’hommes très amoureux dont l’un tenait en laisse un étrange animal. C’était tout simplement une petite boule de poils blancs, toute ronde, pas plus grosse qu’un sachet de thé, avec quatre minuscules pattes qui s’agitaient anarchiquement pour l’aider à avancer. Son museau était très fin et pointu, et deux billes rondes et noires, légèrement globuleuses, devaient sans aucun doute être ses yeux. Malgré l’étrangeté de son aspect, cette bestiole avait l’air bien sympathique. Ils rentrèrent dans une cage d’escalier.

C’était un Famapoil, dut Juliette. Pardon ?!, demanda Rob. Un Famapoil, c’est son nom. La petite bête ronde et poilue. Tu connais pas ? C’est la grande mode, en ce moment. Oh, mon Roby, comme j’aimerais en avoir un. S'te plaît !

Elle le tenait bien fort contre elle, ses bras autour de sa taille, la joue posée contre son ventre, un petit scintillement malicieux dans les pupilles, que Rob ne put voir, évidemment. Une bombe s’écrasa tout près de l’immeuble dans lequel ils se trouvaient, et Rob prit Juliette dans ses bras et courut au hasard des rues, pour trouver un abri.

Ils arrivèrent, deux mois et demi plus tard, dans une petite ville côtière. Rob réalisa qu’il se trouvait dans la ville où avaient vécu ses grand-parents. Il retrouva la rue, la maison, et y entra, la petite Juliette endormie dans ses bras.

Les parents de Rob étaient là, dans le salon. Dès qu’ils le virent, ils lui dirent bonjour, ce qui était la moindre des choses. La sœur de Rob lui sauta dans les bras, un peu jalouse de voir Juliette. Ils prirent ensemble un dîner bien arrosé, puis les parents de Rob allèrent se coucher dans la salle de bain, où ils avaient installé un lit de camp. Juliette et Sibylle, la sœur de Rob, dormirent dans le grand lit des grands-parents, absents pour cause d’absence définitive, et Rob, quant à lui, resta encore quelques instants dans le salon. La mère de Rob lui cria, de la salle de bain, de ne pas se coucher trop tard, car le lendemain ils devaient se lever tôt pour aller à une grande fête familiale.

Rob lut une bande dessinée. Il la lut en boucle, jusqu’au petit matin. Dès que les premiers rayons de clarté apparurent par la fenêtre, derrière le rideau brodé, il posa sa bande dessinée et prit une serviette de bain dans l’armoire de la petite chambre où se trouvait son petit lit. Il revint au salon et se masturba dans la serviette. Après deux mois et demi de course à pied, une enfant dans les bras, il avait bien droit à ça, non ?

Puis il alla enfin se coucher. Il vit derrière les barreaux du velux de la chambrette un chien-loup, les yeux rouges, le regard agressif, voire diabolique. Rob lui fit un doigt d'honneur, c’est-à-dire le majeur de la main droite levé bien haut, en signe de domination. Le chien baissa les yeux et disparut.

Rob s’endormit.

Cinq minutes après, tout le monde était debout dans la maison. La mère de Rob vint le voir et lui dit de se lever, la fête allait commencer. Rob lui dit qu’il avait bien réfléchi et qu’il ne venait pas. Sa mère ne répondit pas, mais elle était déçue, bien que sachant pertinemment que Rob n’avait pas dormi de la nuit. Rob sentait bien la déception maternelle, et il s’en voulait, mon Dieu. Il le sentait dans ses tripes qui se tordaient, mais il était trop fatigué, il devait dormir. Tant pis pour la culpabilité, la fatigue était plus forte.

Juliette et Sibylle vinrent embrasser Rob, et tout le monde sortit. Rob entendit que sa mère était encore dans le salon, et il pensa soudainement à la serviette de bain qu’il avait laissée sur une chaise. Il crut entendre sa mère dire à voix basse : Mon fils s’est encore branlé dans une serviette, le pauvre. Elle mit la serviette au linge sale, et avant de fermer la porte, dit bien fort : A plus tard, mon fils chéri, tu nous rejoins si tu veux, on est au Château Familial. Rob, tu as des serviettes propres dans l’armoire de la salle de bain... enfin, tu sais !

Rob ne répondit pas. Il s’endormit profondément.

Il resta une petite semaine dans la maison familiale, avec Juliette, profita du soleil et du bord de mer, fit quelques repas de famille au Château, souilla quelques serviettes avec une des ses voisines, toujours partante pour ce genre de divertissement. Un soir, il reprit sa Juliette dans ses bras et la route pour regagner ses pénates.

Les avions survolaient toujours la ville, les jaunes semblant maintenant bien plus nombreux et dangereux, et plus acrobatiques que les blancs. Comme ils s’approchaient de l'immeuble de Rob, un avion brésilien, l’aile gauche enflammée, entama un piquet fatal, à quelques seulement centaines de mètres d'eux. Juste avant de s’écraser, il réussit néanmoins à rayer de la carte deux avions de la flotte allemande qui se voyaient déjà regagner la base et brandir la coupe.

Au milieu de ces feux de joie géants, Rob et Juliette revirent les deux jeunes hommes et leur Famapoil entrer dans l’immeuble de ce cher Roby.

Rob dit alors à Juliette qu’avec un peu de chance, l’un des deux était peut-être Totor, le Prince de la Ville, le frère de sa copine Pingouët, la nièce de Tanguy, le nouveau voisin de Rob, Tanguy étant lui-même le fils de Belzechior, fils de Mazeus le Grand, fils de Elerazzar, fils de Ampoutakoux, fils de Menif Regadd, fils de Corallus le Méchant, fils de Mortasch la Tâche, fils de Karkus le Fourbe, fils de Mezaniach, fils d’Arturaxz, fils de Merynn le Déserteur, fils de Merynn l’Ecarteleur, fils de Merynn le Grand, fils de Murraëdd le Pingouin, fils de Chö, fils de Jean-Pierre Le Roitelet, fils de Paktuu l’Ephémère, fils de Zektarr l’Hypochondriaque, fils de Marcel, fils de... Ma foi, je sais plus, je crois que j'en oublie. Mais revenons à Rob !

Quelle chance, Rob avait vu juste, l’un des deux hommes était bel et bien Totor, le Prince de la Ville, le frère de Pingouët, la nièce de Tanguy, le nouveau voisin de Rob, Tanguy étant lui-même le fils de Belzechior, fils de Mazeus le Grand, fils de Elerazzar, fils de Ampoutakoux, fils de Menif Regadd, fils de Corallus le Méchant, fils de Mortasch la Tâche, fils de Karkus le Fourbe, fils de Mezaniach, fils d’Arturaxz, fils de Merynn le Déserteur, fils de Merynn l’Ecarteleur, fils de Merynn le Grand, fils de Murraëdd le Pingouin, fils de Chö, fils de Jean-Pierre Le Roitelet, fils de Paktuu l’Ephémère, fils de Zektarr l’Hypochondriaque, fils de Marcel...

Rob rêvait de le rencontrer. Alors qu'ils se tenaient sur le palier de Tanguy, Rob leur dit qu’il squattait chez lui, et les invita à le suivre. Juliette était folle de joie, elle avait eu l’autorisation de prendre le petit Famapoil dans ses bras, et elle n’en demandait pas plus.

Tanguy était assis sur le canapé, les coudes plantés sur ses cuisses en sang, les poings sur les joues, et dévorait des yeux l’écran du téléviseur. Lorsqu’il vit son neveu – si vous avez bien suivi vous savez que Tanguy était l'oncle d'un des deux jeunes hommes – il se leva et le prit dans ses bras. Comme ils se racontaient leurs petits souvenirs de famille, le téléphone sonna, et Rob répondit. Son cousin Bernie lui apprit que la finale était terminée, le Brésil avait gagné, la remise de la coupe s’était déroulée sur le Parvis de la Cathédrale, sans incidents, ce qui semblait l’ennuyer. Rob lui dit qu’il était ravi, par politesse, car il n’en avait strictement rien à foutre, soyons francs. Il demanda à ce cher Bernie quand il aurait l’honneur de le revoir, et son cousin lui promit « bientôt ! », ce qui promet, soyons en sûrs.

Juste avant de raccrocher, Bernie dit à Rob qu’il avait trouvé une nouvelle astuce pour téléphoner plus rapidement, plus simplement, en faisant seulement quatre chiffres, au lieu de faire le numéro complet à dix chiffres. C’était bon à savoir pour Rob. Bernie lui expliqua alors qu’il suffisait de décrocher le combiné, de composer le 0803803200012, puis d’attendre le double bip, puis de composer les quatre premiers chiffres du numéro de téléphone de son correspondant, et de dire « oui, je le veux » à la question posée.

Je ne vois pas vraiment l'astuce, dit Rob, avant de raccrocher, dépité. Encore une nouvelle loi de simplification. Ils sont trop forts nos parlementaires !

Rob offrit le thé et quelques biscuits à ses invités surprises, un grain de riz sur lequel le Famapoil se fit les dents rageusement, et une demi-heure plus tard, tout ce beau monde prit congé. Juliette avait réussi à prendre une option sur le premier petit de la prochaine portée de l’animal miniature, et, toute joyeuse, s’envola par la fenêtre de Rob, maintenant que le ciel était dégagé.

Juste avant de refermer la porte, Rob demanda à Tanguy de qui Marcel était le fils.

Marcel, fils de Poxpozz, fils d’Oritax la Vipère, fils de Ju... Ok, ok ! merci Tanguy , merci, dit Rob en le coupant dans son élan.

Juste avant de partir, Tanguy dit à Rob qu’on avait annoncé aux infos que des milliers de poissons étaient morts dans le fleuve, à cause de cette putain de guerre !

Je m’en doutais, pensa Rob, j’ai pourtant bien tenté de les effrayer, mais non. Ils préféraient se dorer la pilule. Qu'est-ce que c'est con un poisson !

Il ferma la porte, posa son front sur le judas, versa une larme, releva le front sur lequel un petit rond venait de se graver, et alla se poser sur son canapé.

Il sentit un gratouillis dans la gorge, la racla, et cracha... Sa petite puce Sabryna était de retour. Il la posa dans sa boiboite, sur la table de chevet, et s’allongea, dans l’obscurité. Il se sentit seul, terriblement seul. Mais c'était cool.

Rob commençait à peine à trouver le sommeil... Et d’ailleurs, cette nuit là, il ne le trouva pas...

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